cŏgnōsco, is, ĕre
3. Distribution dans les textes
3.1. Distribution diachronique
Cognoscere est attesté tout au long de la latinité : on le trouve depuis le latin archaïque (Enn. (2), Pacuv. (2), Acc. (2), Pl. (23), Ter. (25), jusqu’au latin postclassique et tardif (Tert. (188), Vulg. (394), avec une fréquence extrêmement élevée (environ 12.000 occurrences jusqu’au Ve siècle), sans trace de variation dans la fréquence d’emploi au long de son histoire1) ; cf. § 3.4.).
Période | Occurrences |
---|---|
IIIe-IIe s. av. J.-C. | 64 |
Ier s. av. J.-C. | 1480 |
Ier s. ap. J.-C. | 593 |
IIe s. ap. J.-C. | 366 |
IIIe s. ap. J.-C. | 328 |
IVe s. ap. J.-C. | 3503 |
Ve s. ap. J.-C | 4372 |
Au cours de la latinité, cognoscere « apprendre à connaître, chercher à savoir » et « reconnaître » finira par se substituer à la forme simple noscere et à la remplacer, avec le même sens d’« apprendre à connaître, connaître », pour passer dans les langues romanes (fr. connaître, esp. conocer, it. conoscere, port. conhecer, cat. conèixer, etc. (cf. § 7).
3.2. Distribution diastratique
Cognōscere relève du vocabulaire fondamental du latin à toutes les époques (ce qui est confirmé par sa fréquence très élevée durant toute la latinité). De ce fait, il n’est pas limité à un niveau de langue ou à un registre particulier et son emploi est généralisé : on le trouve aussi bien dans les genres élevés (Enn., Lucr., Cic., Virg., Ov., Tac., Gell., etc.) que dans les textes les plus proches de la langue parlée familière de la conversation courante (Plaute, les lettres de Cicéron, et en particulier celles à Atticus, etc.)2).
Cependant, cognōscere est nettement plus fréquent en prose3) qu’en poésie, à l’exception, naturellement, des pièces de Plaute et de Térence (cf. supra), puisque ces dernières, tout en mêlant des passages de niveaux de langue différents, offrent le plus souvent la langue de la conversation courante. En outre, l’importance des scènes de reconnaissance dans la comédie peut avoir gonflé les occurrences du verbe dénotant, précisément, un procès de reconnaissance.
La préférence de cognōscere pour la prose apparaît clairement dans le genre historiographique (Liv. (113), Sall. (71), Nep. (34), Tac. (85), Suet. (36), Corpus Caes. (62), Curt. (62), Val.-Max. (63)), et tout spécialement dans l’œuvre de César (cf. § 3.4).
Par ailleurs, dans le vocabulaire technique du droit, cognoscere, accompagné fréquemment des compléments causam ou rem, se spécialise4) dans le sens de « faire une enquête, instruire une cause », dénotant alors une étape préalable et indispensable à l’émission d’un jugement (cf. la présence de iūdicāre dans le co-texte) :
- Cic. Att. 16, 16, 8 : (…) a consulibus (…) quibus et lege et senatus consulto permissum erat ut de Caesaris actis ‘cognoscerent, statuerent, iudicarent ’.
« (…) les consuls que la loi et le décret du Sénat ont autorisé à ‘enquêter, décider, se prononcer’ sur les actes de César. » (traduction J. Beaujeu, 1988, CUF)
- Liv. 26, 48, 8 : cognita causa testibusque auditis.
« après avoir instruit l’affaire et entendu les témoins » (traduction P. Jal, 1991, CUF)
C’est pourquoi l’investigation judiciaire peut recevoir le nom de cognitiō, tandis que celui qu’on appelle cognitor est défini dans les termes suivants :
- P. Fest. 49, 29 (Lindsay) : Cognitor est qui litem alterius suscipit coram ab eo, cui datus est.
« Le cognitor est celui qui prend en charge le procès d’un autre par sa présence, en l’absence de celui à qui il a été attribué. »
3.3. Distribution diatopique
Dans l’état actuel de notre documentation et de nos connaissances, il est difficile de déterminer l’existence, à certaines époques du latin, de variations diatopiques qui pourraient être considérées comme les premiers indices de la diversification en deux chaînes phonologiques attestée dans les langues romanes. Cf. § 1.2 et § 7.1.1.
3.4. Distribution par auteur, par œuvre
• Période I. Plaute : des origines à la mort d’Ennius
Plaute |
---|
23 |
• Période II. Térence : de Caton à l’époque de Sulla
Térence | Caton |
---|---|
25 | 5 |
• Période III. Cicéron : la fin de la République (80-43)
Cicéron | César | Salluste | Varron | Lucrèce | Catulle |
---|---|---|---|---|---|
889 | 215 | 71 | 10 | 39 | 6 |
• Période IV. Virgile : le siècle d’Auguste (43 av. JC-14 ap. JC)
Virgile | Horace | Ovide | Tite-Live | Vitruve |
---|---|---|---|---|
17 | 2 | 114 | 113 | 12 |
• Période V. Sénèque : la dynastie julio-claudienne
Sénèque | Lucain | Celse | Columelle | Pline l’Ancien | Pétrone | Quinte-Curce | Valère Maxime |
---|---|---|---|---|---|---|---|
36 | 5 | 39 | 18 | 34 | 2 | 62 | 63 |
• Période VI. Tacite : des Flaviens à Trajan (69-117 ap. J.-C)
Quintilien | Tacite | Pline le Jeune | Stace | Juvénal | Martial |
---|---|---|---|---|---|
50 | 85 | 42 | 12 | 4 | 8 |
• Période VII. Apulée : Hadrien et les Antonins (117-192)
Apulée | Suétone | Aulu-Gelle |
---|---|---|
73 | 36 | 52 |
• Période VIII. Tertullien et l’Histoire auguste : des Sévères à Constantin (193-337)
Tertullien | Minucius Felix | Arnobe | Histoire Auguste | Cyprien | Lactance |
---|---|---|---|---|---|
188 | 4 | 80 | 94 | 66 |
• Période IX : du milieu du IVes. au début du Ve, l’Empire après Constantin jusqu’à Honorius (337-423)
Augustin | Jérôme | Ammien Marcellin | Egérie | Macrobe | Donat | Martianus Capella | Ausone |
---|---|---|---|---|---|---|---|
3079 | 892 | 84 | 7 | 19 | 74 | 24 | 15 |
• Période X : du milieu du Ve à la fin du VIe
Grégoire de Tours | Priscien |
---|---|
233 | 27 |
L’emploi technique dans la langue du droit, mentionné ci-dessus, explique l’usage élevé de cognōscere dans les discours judiciaires de Cicéron (environ 350 occurrences5)).
La fréquence élevée de cognoscere dans le genre historiographique (mentionnée ci-dessus) s’explique, au vu du contenu sémantique de ce lexème (cf. § 4.2), par l’importance de l’information dans le déroulement des guerres. De ce point de vue, le fait que l’œuvre de César présente la plus grande fréquence relative de toute l’époque analysée est significatif (C. (87), G. (131)).
Non seulement César recourt fréquemment à ce verbe au p.p.p. dans des ablatifs absolus plus ou moins formulaires, du type quibus rebus cognitis, re cognita, comme éléments de cohésion discursive en position initiale dans la phrase (dans le but de marquer le changement de propos et de faire avancer le récit), mais il emploie également des formes fléchies de cognosco, si fréquemment qu’on pourrait considérer ce lexème comme un trait de style de cet auteur.
Parallèlement, la rédaction de traités6) et l’écriture épistolaire représentent deux genres littéraires pour lesquels la transmission de l’information est prioritaire. La fréquence élevée de ce verbe, dont le contenu sémantique est cohérent avec cette finalité, n’est pas surprenante dans ce type de textes. Cicéron apparaît de nouveau ici comme l’auteur chez qui la fréquence decognōscere est la plus élevée (traités philosophiques (294), lettres (278)).